Tyr

Liban | Royaume de Jerusalem

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Toponymes connus

  • Tyr
  • Tyrus Latin
  • Sour - Ṣūr / صور Arabic Contemp.

Description

Français

Histoire

La ville de Tyr, appelée aujourd’hui Sour, apparut aux armées croisées pour la première fois lors de leur descente de la corniche libanaise alors qu’ils étaient en route pour Jérusalem en 1099. La ville appartenait alors aux Fatîmides d’Egypte, lesquels s’en étaient emparés en 1097, au prix d’un siège opiniâtre. Le 23 mai 1099, l’ost franque campa dans la banlieue de Tyr, dont les jardins et les sources -Ain Babük et Râs el-Ain, la Raseline des Chroniques latines – furent très appréciés.

Suite à la prise de la ville sainte, Tyr resta la possession des Fatîmides au même titre que Baruth, Sidon, Acre et Ascalon, cités qui s’accommodèrent toutes de l’hégémonie du nouveau roi franc du Jérusalem, payant chaque année de lourds tributs pour garantir le respect de leurs champs et leur liberté de commercer. Cet état de fait cessa avec l’avènement du roi Baudouin Ier de Jérusalem, lequel, profitant de la venue de quelques escadres italiennes ou nordiques, s’empara successivement d’Arsuf, de Césarée, de Saint Jean d’Acre, de Baruth et enfin de Sidon.

Voyant leur ville isolée par les récentes conquêtes franques, se sentant abandonnés par les Fatîmides, les habitants de Tyr décidèrent de se placer sous la protection de l’ atabeg turc de Damas, Tughtekin. Dès que la menace franque se précisa contre Tyr, le gouverneur de la ville, ‘Izz al-Mulk al-A’azz, loua à Tughtekin un corps de 500 archers turcs. En même temps, il fut convenu que les Tyriens pourraient envoyer en dépôt à Damas l’ensemble de leurs richesses. Ils s’entendirent pour cela avec un chevalier franc nommé Rainfroi qui s’engagea, moyennant une importante somme d’argent, à servir de guide et de garant à leur convoi pendant la traversée des terres chrétiennes. Cependant, Rainfroi se parjura et avertit Baudouin qui fit main basse la nuit indiquée sur tout le convoi.

Après cet heureux coup de main, Baudouin entreprit le siège de la ville (fin novembre 1111), en attendant l’arrivée d’une flotte byzantine que lui avait promis l’empereur Alexis Comnène, laquelle n’arriva jamais…

La ville méritait bien sa réputation de cité imprenable qui était devenue proverbiale. Configurée sous la forme d’un isthme, « au coeur des mers », seule une étroite bande de sable – la fameuse digue construite par Alexandre le grand – la reliait au continent. A l’époque médiévale, une imposante muraille doublée d’un fossé dans lequel s’engouffrait la mer défendait la ville côté terre. Le reste de la cité était ceinturé d’une enceinte et bordé de récifs rocheux, sauf au niveau du port, qui, à la différence des autres que l’on rencontre sur la côte, pouvait par sa profondeur accueillir des navires de fort tonnage. Ledit port était encadré de deux tours reliées entre elles par une forte chaîne.

Tout au long de ce siège, la garnison, renforcée par le corps d’archers turcs, redoubla de courage et d’audace, manquant même un jour de surprendre le camp royal. Devant l’inefficacité de ces machines de siège et des assauts répétés, Baudouin décida de construire deux tours de siège de deux étages chacune, dominant par leur hauteur les remparts de la ville. L’une d’entre elle fut confiée à Eustache Garnier, seigneur de Césarée et de Sidon, qui, dès lors, soumit avec ses chevaliers les assiégés à une pluie continuelle de traits. Ces derniers tentèrent dans un premier temps de détruire les engins de siège au moyen de pierres et de pieux de fer rouge, sans parvenir à leurs fins, les tours étant savamment protégées de claies en osier. Ils s’ingénièrent ensuite à y mettre feu, et y parvinrent finalement, sans que l’on puisse avec certitude indiquer comment. Certaines chroniques citent l’utilisation de grands arbres parés à leur extrémité de matériaux incendiaires fracassés depuis les murailles sur les tours; d’autres citent une ruée générale des assiégés sur lesdites tours avec les même matériaux incendiaires et un bombardement nourri de pots remplis d’excréments (!) pour dissuader les assiégeants d’essayer d’éteindre le feu.

Quoiqu’il en soit, le roi, malgré ce cuisant revers, n’en continua pas moins le siège avec une ardeur décuplée, ce qui décida le gouverneur de la ville à proposer purement et simplement la remise de la ville à Tughtekin en échange de son aide.

Ce dernier parut rapidement dans le pays de Tyr avec toute sa cavalerie et fit lever le siège aux Chrétiens, le 10 avril 1112.

En 1116, le roi de Jérusalem décida d’organiser un véritable blocus de Tyr. La garnison de la place, forte de son précédent succès, faisait en effet de fréquentes razzias en terre chrétienne, tandis que le refuge de la rade de Tyr fournissait un havre certain aux corsaires en tous genres. En attendant la venue de quelque nouvelle escadre, Baudouin fit par ailleurs construire, à quelques kilomètres au sud de l’assiégée, la forteresse de Scandélion, au niveau du Ras el-Abiad . Cette nouvelle forteresse royale bloquait de fait les communications par terre entre Tyr et des renforts terrestres qui auraient pu provenir d’Ascalon.

Au cour de la décennie qui suivit, la ville fit l’objet d’un blocus quasi incessant, justifiant une protection de plus en plus affirmée par le prince de Damas. Le nouveau Calife du Caire al-Amir, mit fin en 1122 à cet état de fait en faisant arrêter le gouverneur damasquin de Tyr pour reprendre la maîtrise des affaires de la ville. Toutefois, incapable d’assurer la défense de la cité autrement que par mer, il la rétrocéda rapidement à Tughtekin à l’annonce de l’approche d’une importante flotte vénitienne, forte de trois cent vaisseaux (soit environ 15000 hommes)

Le second siège de Tyr par les forces chrétiennes, menées par l’énergique Patriarche de Jérusalem Gormond de Picquigny, commença le 15 février 1124, alors que le Roi de Jérusalem était lui-même retenu captif par un prince turcoman.

L’armée franque s’établit du coté de Tell Ma’shûq, situé à 2 km de l’isthme et qui domine la plaine au loin.

Les Vénitiens avaient amené sur leurs navires une grande quantité de bois de construction qui fut utilisée pour la fabrication de machines de siège. Comme précédemment, il fut construit une imposante tour de siège qui dominait les remparts de la ville.

Malgré cette démonstration de force, les assiégés ne s’en défendirent pas moins énergiquement, construisant également des engins de siège qu’ils dirigeaient contre les machines franques.

Alors que le siège trainait en longueur, avec de multiples péripéties, un sérieux renfort fut apporté aux assiégeants par l’arrivée du comte Pons de Tripoli et de ses chevaliers.

Sentant l’étau se resserrer sur Tyr, les Fatîmides d’Egypte, en étroite collaboration avec Tughtekin, envoyèrent leurs armées razzier des parties laissées découvertes du royaume de Jérusalem. Ainsi, la garnison ascalonite poussa une pointe vers Jérusalem, mais se heurta à la bourgeoisie franque de la ville qui fit fière contenance face à ces soldats professionnels. Peu de temps après, la même garnison s’en prit à la Mahomerie , petit casal sur la route de Jérusalem à Naplouse, surprenant la faible garnison alors en poste.

De son côté, Tughtekin vint ravager le pays de Panéas et camper à l’embouchure du Nahr al-Qasmiyé , à quelques huit kilomètres de Tyr. Le Comte de Tripoli décida, avec toute la cavalerie franque, de se porter à la rencontre des Damasquins, lesquels se replièrent à leur approche sur Panéas.

Tughtekin, sentant que la résistance de la ville s’effilochait, revint se poster sur le Nahr al-Qasmiyé , cette fois-ci pour négocier : afin d’éviter une prise d’assaut qui aurait entraîné le massacre inutile de la population, il offrit lui-même la reddition de la ville sous la condition que ses habitants pourraient s’en retirer librement avec leur biens mobiliers, tandis que ceux qui préféreraient rester sous la domination franque auraient cette possibilité.

Les chefs de l’armée franque acceptèrent ces propositions raisonnables et le 7 juillet 1124, l’étendard du roi de Jérusalem fut planté sur la tour qui dominait la porte principale, la bannière de Pons de Tripoli sur la Tour Verte , et celle du doge de Venise sur la Tour de la Tannerie.

Les chroniques tant arabes que franques témoignent de la bonne exécution des clauses du traité, la population de Tyr sortant sans être molestée, visitant même le camp chrétien, témoignage du respect réciproque des deux belligérants.

Le roi de Jérusalem Baudouin II, otage pendant la prise de la ville, la donna en apanage ainsi que Saint Jean d’Acre à son futur gendre Foulque d’Anjou, qui épousa le 02 juin 1129 la princesse Mélisende.

Durant les décennies qui suivirent, la ville, sous la houlette de Venise, devint l’un des principaux centres économiques de la côte, renouant ainsi avec son glorieux passé commerçant. Elle devint également un important lieu administratif où l’on battait la monnaie franque, si bien que souvent, le besant franc était appelé par les Arabes « Dinar suri », c’est à dire « dinar de Tyr ».

Suite à la bataille de Hattin en 1187, la cité accueillit les populations démoralisées de toutes les villes du littoral qui furent submergées par la déferlante ayyûbide. Renaud de Sagette s’apprêtait à donner sa reddition et à arborer la bannière de Saladin sur la plus haute tour de la ville, quand l’arrivée d’un personnage providentiel changea le cours des choses.

Conrad de Montferrat, un « homme semblable à un démon » ou plus simplement « le Marquis Maudit » des chroniqueur arabes, redonna en effet espoir à cette population dont les chefs humiliés avaient été emprisonnés ou tués à Hattin.

L’aventurier exigea en échange de son savoir faire que l’on fasse table rase du passé, et qu’il soit reconnu seigneur de la ville et du pays environnant, choses qui furent sans mal acceptées.

Sur ce, les bannières de Saladin furent jetées dans le fossé et le Sultan eut la mauvaise surprise de voir les portes de la ville fermées lorsqu’il vint en prendre possession. Il crut bon d’utiliser alors un procédé psychologique en faisant venir de Tibériade où il était emprisonné le vieux Guillaume III, père de Conrad, lequel avait été fait prisonnier à Hattin. Il offrit au marquis la liberté de son père contre la remise de la ville. Mais Conrad de Montferrat, qui n’était pas homme à s’attendrir, fit répondre sèchement à Saladin qu’il préférait faire tirer lui même sur son père plutôt que de rendre la plus petite pierre de la ville ! Saladin, devant tant de fermeté, partit achever la conquête de la Judée, avant de revenir devant Tyr pour y mener un siège en bonne et due forme.

Conrad profita de ce court répit pour parfaire les défenses de la ville et fit renforcer les murailles et recreuser les fossés, de façon à ce que l’eau de mer les envahisse, faisant de Tyr une véritable île au milieu des flots.

Saladin revint devant la cité le 25 novembre 1187 à la tête de toutes ses forces. Le front, réduit à l’étroite bande sablée de l’isthme, n’offrait guère à l’armée ayyûbide et ses nombreuses machines de siège de réelle prise, d’autant que les navires latins venaient mouiller de chaque côté de la presqu’île, prenant ainsi de flanc les troupes assaillantes. Le Sultan, voyant que son armée piétinait par la terre, fit appel à sa flotte qui se trouvait à Acre pour venir parfaire le blocus de la ville, obligeant les vaisseaux francs à se replier dans le port. Dans la nuit du 30 décembre 1187, redoublant d’audace, les navires francs sortirent en grand silence et surprirent les galères musulmanes postées à l’entrée du port. Cinq galères furent envoyées par le fond, tandis que le reste de la flotte tenta une retraite sur Baruth. Longeant la côte, les galères fugitives furent rejointes par les vaisseaux francs, et abandonnées par leur équipage qui préférèrent les détruire plutôt que de voir les Francs s’en emparer.

Une chronique franque donne une version différente de l’évènement, y voyant plutôt une ruse de guerre de Conrad de Montferrat, qui fit croire à Saladin que les navires chrétiens s’apprêtaient à abandonner la ville à son sort. Au jour annoncé, la chaîne du port fut retirée et cinq galères musulmanes s’y engouffrèrent, pensant surprendre les navires francs à la manoeuvre. Une fois la chaîne remise en place, les cinq galères furent désarmées. Les assiégés, galvanisés par ce revers infligé à Saladin, décidèrent de mener une sortie à la tombée du jour. Après un bref avantage, ils durent se replier sous le nombre.

L’hiver arrivant, Saladin décida finalement sous la pression de ses émirs de lever le siège de la ville.

Le 28 avril 1192, Conrad de Montferrat fut assassiné dans une ruelle de la cité par un Ismaélien.

A la nouvelle de la mort de son mari, la princesse Isabelle, héritière du royaume de Jérusalem se barricada dans la cité en faisant savoir qu’elle ne la remettrait qu’au roi de France ou à l’un de ses émissaires. Les barons syriens décidèrent de la remarier séance tenante au comte Henri de Champagne et les noces furent célébrées le 5 mai 1192 dans la bonne ville de Tyr, quelques jours seulement après la mise en bière du Marquis…

Lors de la curieuse croisade de Frédéric II, la ville de Tyr tomba entre les mains des Impériaux et entra durant de longues années en guerre larvée contre sa rivale Saint-Jean d’Acre.

En juillet 1243, les barons syriens décidèrent de mettre fin à cet état de fait et, conduits par Balian III d’Ibelin et Philippe de Montfort, parvinrent à s’introduire à la faveur d’une nuit à l’intérieur de la ville par la poterne dite « de la Boucherie », située en pleine mer. Il leur fallut entrer à cheval par la mer et longer les murs de la cité sur les récifs. Retrouvant leurs partisans à l’intérieur, les hommes de Balian se chargèrent de neutraliser la maison des Hospitaliers et celle des Teutoniques, potentiels centres de résistance laissant à peine le temps aux hommes de Frédéric II de se réfugier dans la citadelle de la ville. Après un mois de résistance, les Impériaux finirent par se rendre et purent quitter la place sans qu’aucun mal ne leur soit fait.

Tyr fut ensuite attribuée à Philippe de Montfort, seigneur du Toron. Ce dernier, baron énergique et ambitieux, profita de la déliquescence de l’autorité royale pour rendre son fief complètement indépendant, n’hésitant guère à chasser les Vénitiens de leur comptoir de Tyr, eux qui avaient pourtant participé activement à la conquête de la ville en 1124.

En l’année 1268, le scénario de 1187 se reproduisit, cette fois-ci donnant lieu à la liquidation pure et simple des possessions franques en Orient et à nouveau, Tyr vit le cortège des populations des villes côtières prises par le sultan Baîbars trouver refuge en ses murs. La puissante cité maritime devint une nouvelle fois l’un des ultimes remparts de la chrétienté en Orient.

Comble de malheur, le vieux comte Philippe de Montfort fut assassiné dans sa chapelle par un Ismaélien, commandité par le sultan Baîbars. La ville n’en fut pas prise pour autant .

Aux dernières heures de l’Orient Latin, Tyr fut évacuée en même temps que Tortose et Beyrouth.