Chastellet

Israel | Royaume de Jerusalem

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Toponymes connus

  • Chastellet
  • Vadum Jacob
  • Bayt al-Ahzan - بيت الاحزان Arabic
  • Metzad Ateret - מצד אטרת Hebrew Contemp.
  • Chastellet du Gué de Jacob Med.

Description

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Histoire

Au lendemain de l’éclatante victoire franque de Montgisard, le roi Baudouin IV, en politique avisé, obtint de Saladin une longue et bénéfique trêve. Cependant, au même moment, les frères du Temple entreprenaient la construction d’une nouvelle forteresse visant à défendre un important point de passage sur le Jourdain supérieur, connu à l’époque des Croisades sous le nom de Gué de Jacob – מצד אטרת – ( et appelé à l’époque du côté arabe Makhadat el-Ahzân , littéralement le « Gué des Chagrins »). Ces derniers avaient un intérêt tout particulier à fortifier ce point afin de compléter leur dispositif de surveillance de la Galilée du nord. En effet, la forteresse de Safed – située à une quinzaine de kilomètres plus au sud-ouest – que le roi Amaury leur avait confiée en 1168, ne pouvait prévenir à elle seule les invasions venant de l’est par le Jourdain.

Malgré les réticences du roi lépreux, qui y voyait une violation pure et simple de l’accord passé avec Saladin, les Templiers persistèrent dans leur entreprise belligène. Plutôt que de susciter un affrontement direct avec le puissant ordre, le jeune roi préféra se transporter sur les lieux du crime en novembre 1178, accompagné d’une forte escorte, de façon à s’interposer en cas d’attaque ayyoubide. Il prit finalement une part active à la construction de l’ouvrage, ce Chastellet dont la taille des pierres utilisées pour élever les courtines défraya les chroniques… Saladin, absorbé à la même époque par le règlement d’une affaire intérieure dans la Bekaa’, ne put intervenir à temps et empêcher l’avancée des travaux, si bien que les tâcherons francs ne furent inquiétés que par de sporadiques incursions bédouines.

Vers la fin du mois de mars 1179, après six mois de travaux forcenés, la garde fut naturellement confiée aux Templiers, à qui revenait l’initiative de la construction. Le sultan tenta alors vainement d’obtenir par la négociation le démantèlement de la nouvelle place forte, allant jusqu’à proposer aux Francs une indemnité de 100.000 dinars. Confronté à leur refus obstiné, Saladin se résolut à assiéger la place (27 mai 1179), mais, ayant vraisemblablement sous-estimé la force de la forteresse inachevée, ses armées se heurtèrent à une farouche résistance de la part de la garnison. Les assaillants se découragèrent et levèrent finalement le siège lorsqu’un chevalier nommé Rénier de Maron, réussit à abattre d’une flèche l’un des principaux émirs de l’armée sarrasine…

Quelques mois plus tard, exploitant sa récente victoire contre les Francs à Marj’ Ayun, Saladin monta une seconde expédition contre le Chastellet, cette fois-ci beaucoup plus importante et mieux préparée. Arrivé devant le gué le 24 août 1179, le sultan préféra donner l’assaut séance tenante plutôt que de mener un siège en règle avec force mangonneaux. Le temps lui était en effet compté car une armée de secours se réunissait à Tabarie sous la férule du roi Baudouin. S’ensuivit un combat acharné, au terme duquel les Musulmans parvinrent de façon inespérée à s’emparer des ouvrages avancés du château.

Les Templiers se replièrent alors dans l’enceinte de la forteresse, attendant les secours promis. Le lendemain matin, une sape fut entreprise sous une grosse tour de l’enceinte ; à la tombée du jour, on mit le feu aux étais, mais aucun écroulement ne s’ensuivit, tant le mur était épais. Saladin décida de faire approfondir la mine, promettant un dinar à quiconque apporterait une outre d’eau au fond du boyau pour éteindre l’incendie. Trois jours plus tard (le 28 août au soir), on s’empressa d’enflammer la nouvelle sape. Dans la nuit, la muraille s’effondrait finalement, au milieu d’un brasier tel, qu’il gagna le réduit de la forteresse. Aux dires des chroniques arabes, la garnison entretenaient de grands feux derrière chaque porte de la forteresse de façon à se prémunir d’une attaque surprise. La déflagration fut telle que le souffle attisa et rabattit ces feux vers l’intérieur du château à une vitesse stupéfiante… Une partie de la garnison périt d’ailleurs dans l’incendie, tandis que le reste résista tant bien que mal la nuit durant, à la lueur des flammes. Au petit jour, le sénéchal du Temple à qui avait été confié la défense de la place, préféra, devant le désastre des siens, se jeter dans les flammes… Des sept cent prisonniers francs faits ce jour, bien peu atteignirent Damas coiffés de leur tête !

Saladin ordonna la destruction immédiate et complète du château, malgré la puanteur des corps calcinés des Templiers jonchant le sol… Une épidémie se déclara dans les dix jours qui suivirent parmi les rangs musulmans. Près de dix émirs de l’entourage du sultan trouvèrent la mort. La légende veut que Baudouin, du haut des murs de Tibériade, ait aperçu, impuissant, le ciel se noircir des fumées de l’incendie du Chastellet…

On ne soulignera jamais assez l’importance de la destruction de cette forteresse pour les Francs : outre de lourdes pertes humaines et matérielles, cet épisode marqua un tournant dans le rapport de force entre Saladin et le royaume de Jérusalem, en témoigne la trêve de deux ans signée peu après, où, pour la première fois, les Francs n’imposèrent aucune condition. Le processus menant à la défaite de Hattin avait commencé…

Description

Le site se situe à quelques 500 mètres au sud-ouest du gué de Jacob (l’actuel Jisr Banât Ya’ qûb ), sur le petit tertre ( mediocriter eminens ) de l’antique Qasr al-Athara . Le plan de l’enceinte était rectangulaire avec de légères irrégularités, parmi lesquelles une forme arrondie au niveau de la courtine nord. Les murs, très épais si l’on en croit les chroniques arabes (la muraille dépassait dix coudées – soit à peu près cinq mètres), étaient d’une « hauteur convenable » ( ad convenientem altitudinem ). Le récit du siège dans certaines chroniques semble attester de l’existence d’un réduit sur le front ouest, sur lequel les forces de Saladin concentrèrent d’ailleurs leur sape. Cette tour maîtresse devait être de forme hexagonale, puisque les mêmes chroniques indiquent que les « mines furent menées sur les cinq côtés du mur ». Par ailleurs, on sait également que la forteresse disposait d’une vaste citerne, si large que les musulmans y disposèrent les corps des Templiers et Turcoples massacrés sans pouvoir l’emplir complètement ! De récentes fouilles ont permis de retrouver la base des murs arasés. Les pierres sont effectivement d’une taille impressionnante, et leurs bossages tabulaires presque intacts.

La garnison se composait de quatre-vingt chevaliers avec leur écuyers, quinze sergents commandant chacun cinquante hommes, ainsi qu’un certain nombre d’artisans, charpentiers, forgerons, maçons et maîtres d’armes ; sans oublier une centaine d’esclaves/prisonniers musulmans. On peut donc estimer que la forteresse contenait près de mille hommes, ce qui ne semble pas exagéré : les sources musulmanes dénombrent en effet à sept cent le nombre de prisonniers faits, et à mille le nombre de cottes de mailles prises dans les réserves du château…